La Route Nord, filant à travers
une plaine infinie, menait directement à l'unique entrée de la ville. C'est là qu'une forme minuscule en regard des portes titanesques se présenta au matin du 4 mai 2002, porteuse en tout et pour tout d'un costume de soirée, d'un nécessaire de toilette et d'un petit violon. Cette silhouette gracile d'adolescent fluet, vous l'aurez reconnue, ami lecteur ou bien amie lectrice, il s'agit de Théodore, musicien en devenir, fantaisiste en goguette.
Devant lui, autour de lui, et loin au-dessus de lui, dans les lueurs de l'aurore provenant de l'est, se déployait la Porte du Serpent et du Visage Grondant, l'une des mille merveilles d'une ville de légende. La mégapole antique semblait rassembler tout son caractère dans cette arche prodigieuse, aux montants plus épais et plus grands que des troncs de conifères millénaires, des piliers tenant davantage de la formation géologique que de la construction à échelle humaine. De part et d'autre de la Porte, des murailles tout aussi titanesques, percées de meurtrières rares envahies par la mousse, filaient à droite et à gauche, orangées dans la lumière de l'aube, portant les ombre des milliards de statues qui tapissaient cet immense mur d'enceinte. Les montants, à mi-parcours (c'est-à-dire à cinquante bonnes toises au-dessus du sol), voyaient leurs ornements millénaires assez érodés par les intempéries pour dévoiler la vraie teneur de l'arche, bois et métal. C'étaient sans doute bel et bien des troncs, en fait, renforcés d'antiques poutrelles de métal noir et torsadé, et ce mélange de bois et de titane montait, filait droit jusqu'au ciel, où l'arche s'achevait, et où un panneau large comme cent maisons, décoré à gauche par un serpent métallique, rongé par le temps, qui se mordait la queue, et à droite par un visage de bois que les siècles avaient ravagé et rendu fou, hurlant, une surface immense couverte d'un lierre rendu indistinct par la hauteur démente, un panneau titanesque, donc, proclamait, en caractères impies et antédiluviens :
OLPHÉRA !
Olphéra ! La mégapole de toutes les errances ! La grande cité des maîtres, celle de la légende !
Olphéra ! Le lieu où mille âmes gémissaient, jouissaient ou hurlaient !
Olphéra ! L'idée même d'une cité, face à laquelle Tanelorn, Ankh-Morpork, Minas Tirith et Khernolt réunies n'étaient que pauvres chimères sans imagination !
Olphéra ! La cité dominée par une sombre lignée, le vieux clan des Flinndak, se croyant tout permis, au-dessus de chaque loi !
Olphéra ! La réunion des plus brillants esprits et des plus sombres bandits !
Olphéra ! La ville de la légende, celle des dieux fondateurs et des objets mystiques !
Olphéra, souffla Théodore, l'adolescent candide, bougeant à peine les lèvres, avant de s'avancer sur le seuil niellé de cuivre de ce monde éternel.
